Doctolib écope d'une amende salée de 4,6 millions d'euros pour pratiques anticoncurrentielles
Publié le jeudi 06 novembre 2025 18h27
C'est un coup de tonnerre dans la French Tech : l’Autorité de la concurrence vient d’infliger une amende de 4,6 millions d’euros à l'éditeur de logiciels médicaux Doctolib. En cause, des pratiques jugées abusives, allant des clauses d’exclusivité imposées aux soignants, jusqu’à un rachat de concurrent clairement « prédateur ». L’entreprise, figure de proue de la e-santé en France, conteste vigoureusement et annonce faire appel. Décryptage d'une sanction qui marque un tournant pour des millions de français.
Page d’accueil pour prendre un rendez-vous Doctolib (Crédit : capture Doctolib)
Une sanction qui fait mal à l'image de Doctolib
C'est une nouvelle qui a secoué le monde des nouvelles technologies. Doctolib, cette plateforme incontournable quand on veut prendre rendez-vous chez son médecin, vient d’être lourdement sanctionnée par l’Autorité de la concurrence. Le montant est précis : 4,665 millions d'euros très exactement. Pourquoi une telle amende ? Pour avoir abusé de sa position dominante sur les marchés de la prise de rendez-vous en ligne, bien sûr, mais aussi sur les solutions de téléconsultation. C'est la confirmation, venue des médias et de l’Autorité elle-même, que les pratiques du géant de la e-santé sont loin d'être irréprochables aux yeux du gendarme de la concurrence.
Publicité
Les pratiques qui fâchent : exclusivité et ventes liées
Ce que lui reproche précisément l’Autorité, c’est d’avoir mis en place une véritable stratégie pour « verrouiller » le marché et empêcher toute concurrence de s’installer en imposant aux professionnels de santé des clauses d'exclusivité. En clair, si vous passiez par ses services pour votre agenda en ligne ou votre téléconsultation, vous ne pouviez pas aller voir ailleurs. Et ce n’est pas tout ! Pour pouvoir proposer la téléconsultation à ses patients, un soignant devait obligatoirement souscrire à son agenda en ligne. L’Autorité de la concurrence considère que ces pratiques, que l'entreprise a maintenues malgré des avertissements internes sur leur illégalité, ont permis à la plateforme de détenir une part de marché absolument colossale, estimée entre 70 et 90 % depuis 2017. Difficile, dans ces conditions, pour d’autres entreprises de simplement exister.
Compte tenu de sa part de marché, des parts de marché beaucoup plus faibles de ses concurrents et des variations de leurs parts respectives, ainsi que des barrières à l'entrée sur le marché et de l'absence de pouvoir d'achat compensatoire, Doctolib occupe une position dominante sur le marché français des services de réservation de rendez-vous médicaux en ligne depuis au moins 2017. Autorité de la concurrence
Le rachat d’un concurrent pour « killer » la compétition
L’autre volet du dossier, et non des moindres, concerne le rachat de son principal concurrent de l’époque, MonDocteur, en 2018. L’Autorité ne mâche pas ses mots : cette acquisition, d'un montant de 50 à 60 millions d'euros, avait pour but explicite d’éliminer un rival majeur. En interne, on parlait de « concurrent #1 » à « killer », ce qui en dit long sur les intentions réelles derrière l’opération. C'est d'ailleurs une première en France : il s'agit de la toute première sanction pour une « acquisition prédatrice » basée sur l'arrêt européen Towercast de 2023. L'amende est ici symbolique, 50 000 euros seulement pour ce point, à cause d’une zone d’incertitude juridique antérieure. Néanmoins, l'intention et l'acte sont clairement pointés du doigt. Tout est parti d’une plainte déposée dès 2019 par un autre acteur du secteur, Cegedim Santé, et d’opérations de perquisitions menées en 2021.
La riposte de Doctolib : « une lecture erronée du secteur d’activité »
Face à ce verdict cinglant, la réaction de l’entreprise n’a pas tardé. Elle conteste vigoureusement la décision et a annoncé faire appel dans la foulée. Elle estime que l'Autorité fait une « lecture erronée » de son secteur d'activité. Elle se défend en affirmant qu’elle n’est absolument pas en position dominante, équipant seulement 30 % des soignants aujourd’hui, et se présentant même comme trois fois plus petite que ses concurrents à l'échelle européenne. Pour la société, ces pratiques, même si elles sont remises en question, étaient nécessaires à son développement rapide et à sa capacité d'innover. On peut imaginer que cet appel, qui pourrait suspendre l'exécution de la sanction, va donner lieu à une longue bataille juridique.
La décision se fonde étonnamment sur l’acquisition par Doctolib d’une petite start-up (Mon Docteur) en 2018, qui équipait 2 % des soignants au moment du rachat. Cette opération de croissance externe visant à regrouper deux PME pour innover plus rapidement est d’une banalité absolue dans la vie d’une entreprise. En outre, la décision remet en cause le lien entre la téléconsultation et le reste du logiciel Doctolib, alors que la déconnecter aboutirait à des difficultés conséquentes pour le suivi des patients et l’activité quotidienne des soignants. C’est cette connexion qui permet l’accès au dossier patient, le partage d’ordonnance et la facturation. Communiqué Doctolib
Publicité
De la startup déficitaire au seuil de la rentabilité
Il est vrai que cette amende, même si elle est importante, intervient à un moment particulier pour l’entreprise. Longtemps perçu comme le parfait exemple de la « licorne » de la French Tech, le groupe a suivi le modèle classique des plateformes numériques : une croissance fulgurante financée par d’énormes levées de fonds et, de fait, d’importants déficits accumulés. Pendant plus d’une décennie, le leader a massivement investi dans son expansion, le recrutement de milliers de salariés et les rachats pour s’imposer sur le marché européen. Mais l’histoire récente vient de changer : il y a quelques semaines seulement, l'entreprise a enfin annoncé avoir atteint le seuil de la rentabilité. C’est un tournant majeur qui lui permet, selon ses dirigeants, d’être désormais « maître de [sa] destinée ». Reste à savoir si cette nouvelle solidité financière ne va pas renforcer la détermination de l’Autorité de la concurrence à lui imposer de nouvelles règles.
L'impact pour les soignants et les patients
Sur les réseaux sociaux, notamment sur X (anciennement Twitter), l’information a fait le buzz rapidement, relayée par l'AFP et le compte officiel de l'Autorité de la concurrence. Mais au-delà des vues et des clics, un point soulevé par des utilisateurs, souvent des médecins, fait réfléchir : qui va payer la note, au final ? Beaucoup pensent que cette amende de 4,6 millions d’euros sera inévitablement répercutée d’une manière ou d’une autre sur le prix des abonnements payés par les professionnels de santé. Cette sanction, quoiqu’il advienne de l'appel, marque un précédent fort dans la e-santé française et confirme un durcissement des autorités face aux géants du numérique. L'ère de l'impunité pour les plateformes dominantes semble définitivement révolue.
chabot thierry
Passionné par les ordinateurs depuis son premier PC-1512, il est l'auteur principal des articles concernant Internet, les OS et les moteurs de recherches. Il répond souvent sur les forums avec le pseudonyme Cthierry pour proposer des solutions.