La littérature de cordel brésilienne : un patrimoine célébré par Google
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La littérature de Cordel est à l’honneur sur la page d’accueil du moteur de recherche Google, même si cela n’est pas visible pour tous les internautes. Ce lundi 9 juin, le logo par défaut a une nouvelle fois été remplacé par un Doodle intitulé « Célébration de la littérature de Cordel », « Literatura de Cordel » dans sa version originale auBrésil. Ce Doodle célèbre la littérature cordel, un genre littéraire brésilien populaire caractérisé par des poèmes rimés, généralement illustrés de gravures sur bois, exposés suspendus à des cordes.

Qu’est-ce que la littérature de cordel ?
La littérature de cordel est une forme d’expression populaire née au Brésil, principalement dans la région du Nordeste, au XIXe siècle. Elle se présente sous la forme de petits livrets, appelés « folhetos », qui contiennent des poèmes narratifs rimés. Ces textes, souvent récités ou chantés, racontent des histoires variées, allant des légendes locales aux faits divers, en passant par des satires sociales ou des récits épiques. Issue des traditions orales amérindiennes, africaines et ibériques, cette pratique s’inscrit dans une longue histoire de transmission culturelle. Les poètes, ou « cordelistas », s’appuient sur une langue simple et mélodieuse pour toucher un public large, souvent peu alphabétisé à l’époque de ses débuts. Cette accessibilité, combinée à une richesse thématique, a permis à cette forme d’art de s’enraciner profondément dans l’identité brésilienne, en particulier dans les États de Pernambuco, Paraíba, Ceará et Rio Grande do Norte.
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La signification du mot « cordel » en portugais
En portugais, « cordel » signifie littéralement « corde » ou « ficelle ». Ce terme, à l’origine du nom de cette littérature, fait référence à une pratique de diffusion unique : les livrets étaient traditionnellement suspendus à des cordes dans les marchés ou les foires, permettant aux passants de les repérer facilement. Cette méthode de vente, héritée des traditions européennes comme les « pliegos » espagnols ou les « chapbooks » portugais, a donné son nom à ce genre. Le mot « cordel » évoque ainsi l’image de ces poèmes accrochés, prêts à être décrochés pour être lus ou déclamés. Cette particularité reflète l’aspect populaire et itinérant de cette littérature, qui se voulait proche des gens, accessible et ancrée dans la vie quotidienne.
L’essence du cordel brésilien
Le cordel brésilien est bien plus qu’une simple forme de poésie. Il s’agit d’un véritable vecteur de mémoire collective, mêlant oralité et écriture. Né au Portugal au XVIIe siècle avant de s’épanouir au Brésil, il s’est enrichi des influences des populations amérindiennes et africaines, marquant ainsi son caractère métissé. Les folhetos, imprimés sur du papier bon marché, adoptent un format compact, souvent de 8 à 32 pages, avec une couverture illustrée par des xylogravures, des gravures sur bois réalisées par des artisans spécialisés.
Ces illustrations, à la fois simples et expressives, captent l’attention et servent de porte d’entrée à l’univers narratif des poèmes. Les thèmes abordés sont d’une grande diversité : récits de chevalerie, aventures de bandits comme Lampião, critiques sociales ou encore réflexions sur la spiritualité. Cette polyvalence, alliée à la musicalité des vers, confère au cordel une place unique dans le paysage culturel brésilien, où il continue de séduire par sa spontanéité et son authenticité.
Quelques œuvres marquantes du cordel
La littérature de cordel a produit de nombreuses œuvres qui ont marqué l’imaginaire collectif brésilien. Parmi elles, « A Chegada de Lampião no Inferno » de José Pacheco se distingue comme un classique moderne. Ce poème raconte, avec une touche d’humour, l’arrivée du célèbre bandit Lampião dans l’au-delà, mêlant folklore et satire. Une autre œuvre notable est « O Romance do Pavão Misterioso » de João Melquíades Ferreira, un récit romantique et fantastique qui captive par ses rebondissements. Plus récemment, des cordelistas comme Jarid Arraes ont renouvelé le genre avec des créations comme « Heroínas Negras Brasileiras em 15 Cordéis », qui met en lumière des figures féminines et noires oubliées de l’histoire. Ces textes, souvent déclamés lors de joutes poétiques ou partagés sur les réseaux sociaux, témoignent de la vitalité d’un genre qui sait s’adapter aux époques tout en restant fidèle à ses racines.
Les thèmes sont, parmi d’autres, des faits de la vie quotidienne, des épisodes historiques, des thèmes religieux. Par exemple, les aventures du cangaceiro Lampião, la vie du prêtre Cícero Romão Batista connu sous le nom de Padre Cícero ou Padim Ciço, ou encore le suicide du président Getúlio Vargas (1883-1954) sont parmi les sujets qui ont eu le plus grand tirage par le passé. Il n'existe pas de limite en ce qui concerne la création des livrets : quasiment tous les sujets peuvent faire l’objet d’un cordel grâce au talent d'un poète inspiré. À l’origine, les thèmes provenaient principalement des faits quotidiens, puis ils sont devenus un moyen de loisir et d’information ; aujourd'hui, ils concernent également des revendications sociales et politiques, des thèmes polémiques en rapport avec la situation sociale du peuple en général.
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Le Doodle de Google : un hommage vibrant
Ce 9 juin, Google a choisi de célébrer cette tradition avec un Doodle intitulé « Célébration de la littérature de Cordel ». Ce logo animé, visible sur la page d’accueil du moteur de recherche au Brésil, illustre des livrets suspendus à une corde, ornés de xylogravures colorées. Ce choix reflète l’engagement de Google à mettre en lumière des éléments culturels souvent méconnus à l’échelle mondiale.
Selon le site officiel des Doodles, cet hommage vise à « honorer une tradition qui donne vie aux histoires du peuple brésilien à travers des poèmes vibrants et des illustrations uniques ». En mettant en avant cette pratique, Google offre une visibilité internationale à un art populaire, tout en soulignant son rôle dans la préservation de l’identité culturelle du Nordeste. Ce geste s’inscrit dans une démarche plus large de reconnaissance, comme en témoigne la désignation du cordel comme patrimoine culturel immatériel du Brésil par l’IPHAN en 2018.
Une tradition vivante à l’ère numérique
Loin de s’éteindre, la littérature de cordel s’adapte avec dynamisme à l’ère moderne. Si elle conserve son ancrage dans les foires et les marchés, elle investit désormais les plateformes numériques. Des cordelistas comme Bráulio Bessa, connu pour ses interventions télévisées, ou Cícera Gomes, utilisent Instagram et YouTube pour partager leurs vers, touchant ainsi un public plus jeune et urbain. Cette transition vers le numérique, étudiée par des chercheurs comme Maria Alice Amorim, montre comment la performance orale reste centrale, même à travers des écrans. Les thèmes contemporains, comme la politique ou les enjeux sociaux, continuent d’alimenter les créations, prouvant que cette poésie reste un miroir de la société. En parallèle, des institutions comme l’Academia Brasileira de Literatura de Cordel, fondée en 1988, veillent à préserver cet héritage tout en encourageant son renouveau.
Avec ses vers chantants et ses gravures évocatrices, elle est bien plus qu’un simple genre littéraire : elle est le reflet d’une culture vivante, en constante évolution. En la mettant à l’honneur à travers son Doodle du 9 juin 2025, Google rappelle l’importance de préserver ces traditions qui racontent l’âme d’un peuple. Des marchés du Nordeste aux écrans des smartphones, le cordel continue de tisser des liens entre passé et présent, entre oralité et modernité, prouvant que la poésie populaire a encore beaucoup à dire.